Catherine Ysmal

Écrivain
29 samedi juin 2013

Lecture d’Irène, Nestor et la vérité, Quidam Editeur, par Richard Blin, Le Matricule des anges, n°144, juin 2013

Jeu de massacre
Avec son écriture adossée à l’abrupt, Catherine Ysmal signe une remarquable entrée en littérature.
Par Richard Blin, le Matricule des anges n°144, juin 2013Un amour qui finit mal, enfante des manques d’un rouge feu ; deux êtres ricochant de vide en vide, emportés par le ressac d’un excès de trop, deux êtres comme saisis au noir de l’ensoleillement le plus noir et livrés à l’errance de leur ressassement. Prendre pour thème d’un premier roman un tel sujet était plus que risqué et pourtant Catherine Ysmal s’en sort à merveille tant son texte, sauvage, tortueux, sait s’approcher au plus près des présences terrées dans les gîtes du temps et de l’enfance, se faufiler entre empilement de dégoûts et précipité d’éphémère.

Elle, c’est Irène, une femme que le hasard et les circonstances ont cloué à l’existence. Gamine déjà, elle était insatisfaite, aurait voulu être oiseau, voler, gouvernée qu’elle était par des logiques très éloignées de notre habituel souci de cohérence. Lui, Nestor, est un ancien marin n’aimant pas son prénom –«celui d’un perroquet à crête de coq» –, et chez qui la vérité est devenue une idée fixe. Ils se sont rencontrés la trentaine bien passée et ont choisi de vivre dans une petite maison loin d’un monde dont ils fuient le «vacarme sec». Deux êtres quasi désocialisés qui nous font revivre, à travers leur soliloque respectif, leur descente en enfer.

Il est là le tour de force que réussit Catherine Ysmal, dans le fait de parvenir à restituer le plein de la négativité à l’œuvre. Car les monologues d’Irène et de Nestor s’élèvent de la plaie du déjà dénoué, disent les présences constamment déboîtées des élans bouturés d’obscur, des fatalités hantées de géométries sans perspective. Un phrasé porté par des intensités assassines, un souffle de bord d’abîme, tout un serré d’impressions et de sensations qui sautent à la gorge. Une sorte de rumination musicale autant que fiévreusement obstinée, procédant par vagues rythmiques, reprises, variations, modulations, martèlements d’images, et d’obsessions.

Là où Nestor empile inlassablement faits et gestes, revendique une vérité qu’appelle aussi Irène – «mais sans massacre», se l’imaginant «comme une chose inexistante, souvent contestable», qui ne mérite pas l’énergie qu’il lui apporte, «une bête sur laquelle il s’acharne et dépouille de sa chair» –, Irène, elle, a le silence bavard et brutal. «Je vivais pour ainsi dire “uniquement” dans ce concentré de silence qui me tenait lieu autant d’espace que de forme.» Vivant à contretemps, elle s’évade dans les bois où elle peut repousser toutes les frontières, peut onduler serpent et se sentir «nuage d’éclair». Elle voit, entend. «Les ombres déployées en pièces d’orchestre, je décide de l’ordre, inventant des images, créant des sens. Et puis au et à mesure, je m’oublie.» On la dit folle, «folle de parler à un oiseau, folle d’y voir [ses] espérances et leur chute.», là où elle ne fait qu’obéir à des exigences impérieuses, qui sont sa façon de briser les continuités, de faire coexister des inconciliables, comme dans ses collages qui font chavirer le décor, corrigent le quotidien, restituent au monde son indétermination primitive. Là où Nestor a besoin d’un ordre rigide, de l’exactitude du dictionnaire – «Ça m’a toujours semblé important d’avoir la certitude des mots, parce qu’il n’y a de vérité que dans la définition et qu’elle est décidée par ceux qui ont réfléchi.» –, Irène met les mots côte à côte, regarde «comment ça danse autour et ouvre». Du non-agir elle a fait un refuge, et de l’imaginaire une seconde vie, un territoire où elle peut développer sa propre langue, celle «qui n’avait pas besoin de son dictionnaire». Ce que Nestor ne supportera pas.

Un premier roman qui donne voix à cette forme d’impuissance d’où surgit la poésie. «Les mots ne sont jamais purs, débarrassés de qui les prononce et de ce qu’ils portent.» Un livre surtout qui signe la naissance d’un véritable écrivain.

Photo : Jeu de massacre<br />
Avec son écriture adossée à l’abrupt, Catherine Ysmal signe une remarquable entrée en littérature.<br />
Par Richard Blin, le Matricule des anges n°144, juin 2013</p>
<p>Un amour qui finit mal, enfante des manques d’un rouge feu ; deux êtres ricochant de vide en vide, emportés par le ressac d’un excès de trop, deux êtres comme saisis au noir de l’ensoleillement le plus noir et livrés à l’errance de leur ressassement. Prendre pour thème d’un premier roman un  tel sujet était plus que risqué et pourtant Catherine Ysmal –née en 1969 et vivant à Bruxelles– s’en sort à merveille tant son texte, raboteurx, sauvage, tourtueux, sait s’approcher au plus près des présences terrées dans les gîtes du temps et de l’enfance, se faufiler entre empilement de dégoûts et précipité d’éphémère.</p>
<p>Elle, c’est Irène, une femme que le hasard et les circonstances ont cloué à l’existence. Gamine déjà, elle était insatisfaite, aurait voulu être oiseau, voler, gouvernée qu’elle était par des logiques très éloignées de notre habituel souci de cohérence. Lui, Nestor, est un ancien marin n’aimant pas son prénom –«celui d’un perroquet à crête de coq» –, et chez qui la vérité est devenue une idée fixe. Ils se sont rencontrés la trentaine bien passée et ont choisi de vivre dans une petite maison loin d’un monde dont ils fuient le «vacarme sec». Deux êtres quasi désocialisés qui nous font revivre, à trvaers leur soliloque respectif, leur descente en enfer.</p>
<p>Il est là le tour de force que réussit Catherine Ysmal, dans le fait de parvenir à restituer le plein de la négativité à l’œuvre. Car les monologues d’Irène et de Nestor s’élèvent de la plaie du déjà dénoué, disent les présences constamment déboîtées des élans bouturés d’obscur, des fatalités hantées de géométries sans perspective. Un phrasé porté par des intensités assassines, un souffle de bord d’abîme, tout un serré d’impressions et de sensations qui sautent à la gorge. Une sorte de rumination musicale autant que fiévreusement obstinée, procédant par vagues rythmiques, reprises, variations, modulations, martellements d’images, et d’obsessions.</p>
<p>Là où Nestor empile inlassablement faits et gestes, revendique une vérité qu’appelle aussi Irène – «mais sans massacre», se l’imaginant «comme une chose inexistante, souvent contestable», qui ne mérite pas l’énergie qu’il lui apporte, «une bête sur laquelle il s’acharne et dépouille de sa chair» –, Irène, elle, a le silence bavard et brutal. «Je vivais pour ainsi dire “uniquement” dans ce concentré de silence qui me tenait lieu autant d’espace que de forme.» Vivant à contretemps, elle s’évade dans les bois où elle peut repousser toutes les frontières, peut onduler serpent et se sentir «nuage d’éclair». Elle voit, entend. «Les ombres déployées en pièces d’orchestre, je décide de l’ordre, inventant des images, créant des sens. Et puis au et à mesure, je m’oublie.» On la dit folle, «folle de parler à un oiseau, folle d’y voir [ses] espérances et leur chute.», là où elle ne fait qu’obéir à des exigences impérieuses, qui sont sa façon de briser les continuités, de faire coexister des inconciliables, comme dans ses collages qui font chavirer le décor, corrigent le quotidien, restituent au monde son indétermination primitive. Là où Nestor a besoin d’un ordre rigide, de l’exactitude du dictionnaire – «Ça m’a toujours semblé important d’avoir la certitude des mots, parce qu’il n’y a de vérité que dans la définition et qu’elle est décidée par ceux qui ont réfléchi.» –, Irène met les mots côte à côte, regarde «comment ça danse autour et ouvre». Du non-agir elle a fait un refuge, et de l’imaginaire une seconde vie, un territoire où elle peut développer sa propre langue, celle «qui n’avait pas besoin de son dictionnaire». Ce que Nestor ne supportera pas.</p>
<p>Un premier roman qui donne voix à cette forme d’impuissance d’où surgit la poésie. «Les mots ne sont jamais purs, débarrassés de qui les prononce et de ce qu’ils portent.» Un livre surtout qui signe la naissance d’un véritable écrivain.